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On commença à représenter le Bouddha juste avant le début de notre ère, dans le pays de Gandhâra, dans l'Inde du Nord, sous l'influence de l'hellénisme, qui avait le goût des statues, et bientôt après à Mathurâ. Les anciens monuments cultuels, les stûpa et les chaityas des derniers siècles avant notre ère, s'en tenaient à des symboles faisant l'objet d'un culte: par exemple, la procession autour de l'Arbre de la Connaissance ou autour d'un chaitya à reliques. C'est seulement dans le stûpa sud-indien d'Amarâvatî (150 - 200 de notre ère.) que Gautama Bouddha lui-même apparaît dans les représentations de ses vies antérieures (jâtaka).

Bouddha (art Gupta)

Mais la figure de prêtre en forme d'icône qui est restée depuis lors le type invariable à travers tous les temps a été créée dans le Gandhâra et à Mathurâ. On se servit à cet effet de figures cultuelles existantes, que ce soit, comme à Gandhâra, des modèles d'Apollon ou de Dionysos, ou, comme à Mathurâ et à Sârnâth, des yakshas. Sinon dans son état de Bouddha, du moins en sa qualité antérieure de Bodhisattva (celui qui se trouve sur la voie de l'Illumination), on pouvait le représenter de diverses façons. Ainsi on donna au prince Çakya, qui renonça à la souveraineté sur terre et préféra la domination spirituelle du monde, la figure du chakravartin, du « Maître du monde ». La figure du yogi en méditation doit aussi avoir joué un rôle dans la représentation cultuelle avant qu'on l'employât pour le Bouddha.
Un bouddha de Gandhâra montre la figure dans la position assise du yogi, sur un trône orné de lions, avec un vêtement drapé dans le style hellénistique, avec un visage indien et une coiffure à la mode brahmanique, le chignon habituel se moulant sur la protubérance crânienne canonique (ushnîsha), puis avec l'ûrnâ, une loupe de poils entre les sourcils, et enfin avec les longs lobes des oreilles. Les mains sont dans la position de la méditation, posées l'une dans l'autre. Seuls le vêtement et le nimbe sont hellénistiques, tout le reste est indien. La figure traditionnelle du yogi est élevée à un plan supérieur par quelques signes symboliques de supériorité (lakshana), signes du Mahâpurusha (le « Grand Être »), ainsi que par le nimbe; et il apparaît de la sorte déjà comme un être divin. La figure du Bouddha est donc achevée, en tant qu'image cultuelle, dans cette statue, qu'on peut dater du IIIe siècle; et elle est telle que, indépendamment du vêtement, elle s'est maintenue, à travers les millénaires, jusqu'à nos jours. Avec Magadha, Gandhâra était le deuxième lieu saint du bouddhisme, et il le resta jusqu'aux environs de 465, lorsque les Huns firent irruption, chassèrent les Kushâna et occupèrent le Gandhâra. Le pèlerin chinois Hivan-tsang visita le Gandhâra vers 630, et il n'y trouva que des ruines. « Il y a là-bas environ mille monastères détruits et abandonnés. Ils sont recouverts de végétations sauvages et n'offrent qu'une désolante solitude. La plupart des stûpas sont également en ruines. » Mais l'art de Gandhâra avait cependant pris, à travers les passes de l'Hindou Kouch, le chemin du Turkestan oriental, d'où il se répandit jusqu'en Chine et au Japon. Le deuxième centre primitif de la sculpture du Bouddha se trouvait à Mathurd. Au lieu de la figure, abîmée dans la contemplation étrangère au monde, de la statue de Gandhâra, nous voyons ici un moine qui regarde droit devant lui d'un air fanatique, auquel la position du yogi qui lui est imposée ne convient absolument pas. Il donne bien plutôt l'impression de vouloir se dresser d'un bond pour lancer à la face de ses auditeurs un vigoureux sermon de capucin.

Bouddha

L'époque florissante de l'art de Mathurâ se situe au temps de la souveraineté des Kushânas, une tribu scythe qui a envahi l'Inde et qui, sous le grand Kanishka et ses successeurs, en a dominé le nord (1er et troisième siècle.) De Mathurâ, le type du Bouddha à l'épaule droite découverte s'imposa plus tard comme le type général. C'est une véritable figure du héros Kanishka que le Bodhisattva, datant de 83, commandé par le moine Bala, et qui fut exposé à Sârnâth. Recouvert d'un vêtement mince, transparent, aux plis serrés, qui laisse libre l'épaule droite, et sur lequel retombe le pagne noué au milieu du corps et retenu de la main gauche enfoncée dans les hanches, ce Gattamelata indien se dresse en position frontale, en laissant une place entre ses jambes à un petit lion qui s'y glisse modestement, lion qui indique que la statue représente le « Lion de la caste Sakya », le prince Siddhartha Gautama lui-même, un élève bodhi qui semble avoir encore un long chemin devant lui.
La perfection formelle de la figure du Bouddha assis est atteinte au cours de la période gupta, qui est — avec des interruptions — du début du Ive siècle au milieu du vue, en y comprenant la période du royaume Harsha, l'âge d'or de l'Inde, comparable à l'époque classique de la Grèce et à l'Italie de la Renaissance.
Le Brahmanisme eut, à cette époque, une reviviscence, et avec lui le sanscrit, la langue sacrée des brahmanes.
Kâlidâsa, qui vécut vraisemblablement au début du Ve siècle, termina, avec ses drames encore partiellement jouables aujourd'hui, une période florissante de trois cents ans de poésie dramatique indienne. Les Purâna, les « Anciens récits », qui contiennent les traditions de l'histoire des temps primitifs et des anciens cultes des dieux, furent alors rassemblés. Le livre des Lois de Manu reçut sa forme actuelle, les mathématiques et l'astronomie atteignirent leur apogée.
Cette activité intellectuelle influença aussi l'art. Le Ve siècle est le Cinquecento indien. C'est à cette époque que fut fixée la forme classique des arts figuratifs indiens. La figure cultuelle évolua vers une pureté qui ne pouvait plus être dépassée, vers l'incarnation idéale de l'homme intériorisé.

Bouddha de Sârnâth

Cette statue, devenue célèbre dans le monde entier sous le nom de Bouddha de Sârnâth, et ciselée dans le grès lumineux (avec des traces de polychromie), est l'incarnation parfaite du yogi qui est arrivé à la connaissance intime, qui ne fait qu'un avec la lumière originelle, c'est-à-dire précisément du Bouddha. Il se détache sur un fond formé par la trinité spirituelle Bouddha, Dharma et Sangha (Doctrine et Communauté), le disque, le dossier et le panneau frontal du siège. Il les réunit extérieurement dans son corps par la composition triangulaire de celui-ci. Le triangle et le cercle, deux symboles qui suggèrent l'au-delà, forment avec l'axe vertical la charpente de cette construction symétrique. La forme de sa tête se rapproche du cercle, mais elle reste cependant encore vivante. C'est avec les cercles qui l'entourent que commence l'abstraction géométrique. Et, comme des ondes, glissent les courbes des colliers et des plis du vêtement sur son corps de lion tout lisse, jusqu'au tapis où il est assis. L'axe vertical souligné de son corps est encadré par un triangle d'un calme inébranlable, et les bras, à leur tour, protègent le corps en formant deux triangles. Ses mains, qui se touchent, forment d'autre part la pointe de deux autres triangles; l'un, inférieur, avec pour base la ligne d'un genou à l'autre, et le deuxième, en sens inverse, dont la base est donnée par les épaules, mais aussi, tout en haut, différemment, par la ligne qui joint les deux dieux volants.
Dans le centre ainsi déterminé, qui se trouve, conformément au système yogi au niveau du deuxième centre important de l'intelligence, le plexus solaire, les mains sont au repos, dans la position du « sceau de la Doctrine », du « dharma chakra mudrâ », qui n'est que le symbole visible des phénomènes suscités par la plongée intérieure d'où jaillit l'Illumination. Cette lumière intérieure semble irradier le corps tout entier. Celui-ci apparaît en quelque sorti animé par la pulsation du rythme vital suprême. On ne peut se représenter ce Bouddha parlant, enseignant activement. Le mudrâ (geste religieux de la main) signifie bien plutôt que la Roue de feu de la Doctrine, c'est-à-dire la Connaissance, tourne en lui. La position des mains n'est que symbole et sceau. Par là s'exprime l'âtman sacré, l'âme universelle, ineffable et néanmoins saisie ici par l'art et portée à l'expression sensible. En avant du siège du trône, on voit la sangha (la communauté), représentée par les cinq premiers disciples du Bouddha, qui prient agenouillés de chaque côté de la Roue, augmentés du donateur (celui qui a fait faire la statue), avec son enfant (à gauche) et les deux gazelles (sous la Roue) qui symbolisent le Sermon de Bénarès dans le Jardin des gazelles de Sârnâth. Deux lions-griffons et makaras (crocodiles), dont les gueules tiennent le commencement et la fin d'une corde, symbole du lever et du coucher, c'est-à-dire du cycle des planètes, ainsi que la guirlande ondée qu'encadrent les cercles de perles du nimbe et à laquelle les deux dieux donnent une signification encore plus profonde, constituent l'ornementation, discrète mais pleine de sens, de ce chef-d'oeuvre.

Bouddha

De même le Bouddha debout, en sa qualité de guru (instructeur), reçut de l'art gupta sa forme typique. Présenté de face, il fait en levant sa main droite (cassée) le signe de l'absence de crainte (abhaya mudrâ), tandis que, de la gauche, il relève le bas de son manteau. A l'opposé de la figure sans ornement du Bouddha, les bodhisattvas, les multiples dieux du mahâyâna, sont garnis d'ornements suspendus et de symboles.
Une nouvelle étape dans l'évolution commença dans le royaume des Gupta (vers 320-500). A Aryavarta travaillent des artistes de haute culture spirituelle, comme à Sârnâth, à Mathurâ, à Garhwa, à Udayagiri, en même temps que des artisans ordinaires. Sans doute, par suite d'une plus forte intériorisation du bouddhisme et du brahmanisme, les figures cultuelles apparaissent au Ive siècle, dans les deux religions, avec les yeux fermés, ce qui rend sensible à ceux qui les accompagnent leur détachement, leur passage dans les régions supraterrestres, purement spirituelles.
C'est ainsi qu'au début du IVe siècle le Bouddha de Bodh Gayâ, le lieu sacré de l'Illumination, se présente, malgré son aspect solidement terrestre dans le style de Mathurâ, avec les yeux fermés, plongé dans une profonde méditation, en de deux cents ans plus ancien. L'influence d'une caste dirigeante de prêtres est manifeste. Le centre de l'école de sculpture se déplaça au Ve siècle à Sârnâth (où le Bouddha après son Illumination prononça son premier sermon dans un parc à gibier). Les sculpteurs ont atteint ici cette rondeur parfaite des membres et cet ajustement harmonieux des contours qui conviennent à la figure d'un corps spirituel devenu visible. Les bouddhas debout, eux aussi, semblent être maintenant des apparitions soustraites à la pesanteur, venues d'autres sphères.
En même temps que se produisait dans le bouddhisme cette transformation matérielle des figures cultuelles, il s'en produisait une semblable dans l'art brahmanique.